Mon âge physique

Mon âge physique : Hamsa Hamsa. 5-5. Cinquante-cinq ans. Derrière moi, trois décennies de pratique yogique. Mon chemin a commencé avec le vénérable Goswami Kriyananda. Dans la lignée du Kriya Yoga dont il était le leader,  le yoga du kriya était le yoga de l’action. L’action était l’action de purification et le moyen, le feu spirituel et métabolique qui brule les impuretés du mental pour révéler la vrai nature de l’esprit. 

Pour lui, le yoga était à la fois science et art mystique. Si les asanas, les postures, étaient importantes, elles ne représentaient qu’une seule étape sur le chemin royal vers la conscience absolue, une petite mais nécessaire portion d’un chemin bien plus complexe et bien plus subtil. Il insistait sur les symboles psychiques que chacun porte en lui et l’importance de pouvoir neutraliser nos symboles personnels- le monde dont parle souvent Jung.  Le monde était un rêve, un événement intérieur. 

“Vous voulez transformez le monde?, disait-il, alors transformez votre mental d’abord. “

Je peux vous dire que j’ai pu saisir qu’un peu de ce que ce sage nous apprenait. Mais en rétrospective,  c’étaient mon égo, ma jeunesse et mon inexpérience, filtrés par mon autobiographie  (mes valises) qui étaient comme d’énormes cailloux. Tant que je n’arrivais pas à concasser, pas de visibilité spirituelle. 

A la fin de ma vingtaine, la pratique du yoga fut le moyen de canaliser mon énergie dans des voies plus positives. Garder la ligne, me sentir en pleine forme, stabiliser mon mental de singe.

J’ai eu alors la grande chance de tomber dans les bonnes mains d’un professeur Iyengar pure et dure, la belle Irène Joubert. C’est elle qui apprenait que sans discipline, sans rigueur et assiduité, il n’y aurait pas de gains durables, même si mon enthousiasme débordait 3 fois par semaine dans ces cours. Sa première règle: touristes spirituels s’abstenir. 

Sous sa précieuse tutelle, j’ai appris l’impersonnel du yoga. Peu importe mon passé, mes projets, mes trips…aucune importance tout ça sur le tapis. Lâcher-prise et foncer. 

On ne faisait rien de compliqué, au moins, pas au surface. Pas de postures pyrotechniques, pas de triples flips ou de postures couverture de magazine selfie. Encore et encore, un solfège minimaliste, les standards. Les basiques. Sans variation. Pas de fantaisie. Juste les asanas nature. 

Apprenez les bases! Insistait-elle.  Apprenez bien les bases! Répétez  et répétez encore. Quand vous pensez que vous avez enfin compris, recommencez. Creusez. Creusez encore. 

Elle exigeait d’être attentive, de parfaire notre compréhension, d’entraîner l’esprit face à nos aptitudes en développement pour cultiver une mémoire proprioceptive. Pour elle, même pas la peine de parler des postures étoiles tant que nous ne savions pas nous mettre debout, marcher, s’asseoir, s’aligner, placer le squelette et puis les muscles. Dans son cours, on devenait des ascètes. Symboliquement, c’était une robe marron  peu confortable qu’on enfilait pour avoir  droit d’accéder aux enseignements qu’elle souhaitait nous léguer. 

En peu de temps, la baguette magique du yoga avait déjà fait son effet. J’ai été fascinée et ravie de voir les changements dans mon corps, ma vitalité et ma force. Mais, au-delà des transformations corporelles, l’être que j’appelais ‘moi’ se transformait également au fur et à mesure. Ma pratique de yoga était en train de me sauver. Elle m’a aidé à terminer la vingtaine rendu houleuse par un mariage en faillite, le divorce qui a suivi, et deux déménagements transatlantiques. Un Paris- St-Barth aller/retour. 

Dans la trentaine, j’ai poursuivi mes études et ma pratique, mais souvent seule dans mon coin. La personne que j’avais été plus jeune avait disparue.  

Etre à nouveau en couple, la grossesse et la maternité ont enterré la célibataire insouciante.  Tout comme mon corps, ma vie s’est transformée et il fallait maintenant inclure “l’autre” dans ma pratique. Je n’avais plus le loisir de planifier comme avant. Le zen de la maternité m’a fait vivre une toute autre compréhension de ce que c’est que d’être dans l’instant présent. 

Quelquefois, je jouais avec ma compréhension de la pratique comme un chat avec une pelote de laine.  Parfois, je m’attachais corps et âme et par moment je faisais mon possible pour éviter mon tapis, ma pratique, mon ‘moi’.  Une bonne pratique  m’a toujours conduit aux questions essentielles de ma vie. Il est tout simplement impossible de continuer ce chemin sans tôt ou tard se croiser soi-même. Toutes ces parties occultées, cachées, les mal-être émotionnels, les guerres psychiques mais aussi, mes cadeaux.  Souvent, plus les questions devenaient essentielles, plus grande était ma résistance à regarder mon ‘caca’ en face.  Avec un peu de patience, je trouvais le courage de plonger à l’intérieur, et plus je trouvais mes ombres, plus j’arrivais à répertorier mes trésors.  Je voulais partager avec les autres les outils qui m’aidaient à grandir.  C’est en 1999-2000 que j’ai eu mon premier diplôme officiel de professeur de yoga par l’école Sivananda Vedanta.

Pendant la quarantaine, comme mes professeurs le furent  avant pour moi, je suis devenue une ressource spirituelle pour mes élèves. Une bouée yogique. Cela implique de montrer par exemple. Nul besoin de faire du prosélytisme mais simplement de vivre en accord avec des valeurs humaines.  Plus j’enseignais, plus je constatais que tous les chemins se retrouvaient. Les différentes lignées, les religions, les traditions mystiques, le cerveau gauche et le cerveau droit, la vie intérieure et la vie sociale. Pour moi et pour mes élèves, une excavation des trésors cachées nous attendait. 

A travers l’observation et la pratique continue, j’ai commencé à découper les clôtures des premières quinze années de travail en yoga. Je me faisais plus confiance, je suivais d’avantage mon intuition dans l’aventure de devenir et d’aider l’autre à devenir. J’ai développé une perspective, un point de vue et une voix, la seule qui m’est légitime : la mienne. 

Quelques événements significatifs se sont produits dans la cinquantaine.

Mon mari m’a emmené à Vegas. Las Vegas.  Pour ceux qui me connaissent, s’il y a un endroit au monde qui ne m’intéresse absolument pas, c’est bien Vegas. J’étais intriguée par son choix. 

Mon chéri, disais-je, parles-moi de ce pourquoi Vegas…”

Il m’a souri très gentleman. C’était la réponse d’un sphinx scorpion. Il n’allait absolument rien lâcher avant l’heure. 

Le lendemain, on quitta notre bel hôtel pour un hangar. Un hélicoptère. Enfin, il cracha. 

« Il me fallait Vegas pour t’emmener ici. »

“Ici”, ce jour-la, voulait dire le Grand Canyon. J’en rêvais depuis toujours. 

L’hélico descendit délicatement sur un haut plateau et c’est ainsi que le splendeur du monde se révéla. 

En regardant les gorges, je croyais même pouvoir sentir l’océan ancestrale. Comment décrire cette compréhension subite, absolue, du passage, du temps, de l’histoire? Nous nous sommes dirigés chacun vers un rocher, et la célébration d’anniversaire prit forme d’une méditation. Je me suis centrée pour entendre les consignes du Grand Canyon. 

Une voix que j’appelle Grandmère m’a dit:

-A partir de ce moment, plus jamais tu ne sauras ce que c’est le pur bonheur, car dans ton bonheur, aussi grand soit-il, il y aura toujours un point de tristesse. Et plus jamais tu ne connaîtras un chagrin absolu, car tu sais que le bonheur existe simultanément. 

Elle me parlait ainsi des Grands Mots : l’impermanence, le Tao, le yin et le yang, le tout et le néant. Dans ces mots, je pouvais sentir la vérité. Tant qu’il y a encore des enfants qui souffrent, qui sont affamés ou abusés, le bonheur ne peut être absolu. Et tant qu’une personne dépasse ses limites et reprend sa nature sans forme, les cieux font la fête. 

Elle me parla du monde et me disait que, maintenant, si je pouvais toujours appartenir à moi-même, j’appartenais aussi au monde. Et je devais oeuvrer pour ce monde. Je pénétrais l’univers des grands-mères, et le prix d’entrée était mes règles. Ma fécondité. Le deuxième stade de la vie d’une femme. En quittant le Canyon ce jour, je quittai un chapitre de ma vie.

Je suis rentrée dans le monde des Grands-Mères. 

J’entends les mots de l’écrivain mystique  Khalil Gibran résonner encore sur les murs du Canyon, …” Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles du désir que la Vie ressent pour elle-même. Ils passent à travers vous, mais leurs âmes résident dans la maison du demain, que vous ne pouvez visiter, même pas dans vos rêves “.

Dans la tradition amérindienne, la femme Papillon, Butterfly Woman, n’est ni la plus jolie, ni la plus mince, ni celle qui a les fesses les plus galbées. C’est une grand-mère, les seins ponderants, sa vie un réseau complexe de traits et de rides, une carte de la vie. 

Son cœur, lavé par son amour, sa compassion, le soin et l’attention qu’elle donne à autrui l’ont purifié. Elle est le symbole emblématique de ce que le kriya yoga préconise : la transformation par le feu de l’action. 

Aujourd’hui, pour moi, le yoga est la roue de la vie, la roue de la médecine, qui tourne, et qui tourne, qui transforme et qui brule toute impureté pour ne laisser subsister que la lumière pure, la conscience pure. 

A travers les années, la pratique de yoga m’a permis d’avoir une perspective, un point de vue que, tout comme le Grand Canyon, fut creusé par le temps, sous pression pour enfin briller dans son essentiel. 

Pratiquer le yoga, la méditation et le développement personnel à St- Barth, les pluies de ces derniers jours ont fait sortir une légion de papillons pays, petits, jaunes, joyeux…

De loin, dans le silence, je les entends chanter, les Femmes Papillons,

“Loka samasta sukinoh bhavantu…”

« Que tout être puisse être heureux, libre de souffrance et des causes causales de la souffrance, que tout être puisse atteindre sa libération. »  

Instagram @dianabourelartofselfcare

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